#Gabon : Connaissez-vous la véritable histoire de Fantomas, le plus grand délinquant que le Gabon ait connu ? Apis Ondo nous la raconte #FJ

.L’ENNEMI PUBLIC N°1 !

Le 1er décembre 1992, la Une de « l’Union », premier quotidien gabonais d’information, titrait : « Fantômas hors d’état de nuire ». Une photo illustre le titre. On y découvre un jeune homme au visage tuméfié, le regard hagard, ne tenant debout que grâce aux mains qui le soutiennent. Sur une ardoise, des écriteaux à la craie blanche déclinent son identité. Le voyou le plus célèbre de Libreville n’est plus qu’une ombre pâle du dangereux criminel décrit jusque-là par les médias. Son arrestation la veille à Bitam, dans le nord du Gabon, est un coup d’éclat pour les forces de l’ordre. Celui que l’on avait présenté comme l’ennemi public n°1 était, depuis un mois, l’objet d’une féroce chasse à l’homme très médiatisée et controversée. Traqué comme une bête dans Libreville ; échappant de justesse à de nombreuses embuscades ; imperméable au chantage de la police judiciaire qui prit son fils d’un an en otage pour le forcer à se rendre, Fantômas demeura longtemps insaisissable. Au cœur de sa cavale, il fit publier une lettre ouverte dans un journal de l’opposition. Il s’y dit victime d’une Kabale de la part d’un Pouvoir qui lui jetait encore des fleurs un mois auparavant. Il rejette en bloc toutes les accusations portées contre lui, propose une conférence de presse à laquelle serait conviée toute la presse, où il pourra dire haut et fort toutes ses vérités. De conférence de presse il n’y aura point. La cavale allait au contraire perdurer. Caché dans le coffre arrière d’une voiture, il se présenta deux nuits de suite au quartier Charbonnage, espérant une aide qui ne vint jamais. C’est qu’il était devenu un colis très encombrant. Une patate brûlante que ne tenaient plus à se coltiner ceux qui jadis lui donnaient des tapes chaleureuses dans le dos. Une autre fois encore, il sera conduit de nuit au port Owendo pour tenter une fuite par voie fluviale jusqu’en Guinée-Equatoriale. Il se rétracta au dernier moment. Il choisit finalement Bitam, sa ville natale, pour ultime point de chute. C’est chez un lointain oncle maternel, dans l’arrière-pays, qu’il trouva refuge. Mais son répit fut de très courte durée.

Effrayé par l’abattage médiatique autour de la traque de ce neveu pas comme les autres, l’oncle faillit et le dénonça. Quatre éléments des services secrets Gabonais furent dépêchés à Bitam pour appréhender le fugitif. Ce dernier sera conduit à la gendarmerie de Bitam, où il révèlera d’entrée les noms des pontes pour qui il a eu à travailler, et la nature des missions. Les membres des services secrets appellent aussitôt Libreville pour savoir finalement la conduite à tenir. La réponse de Libreville va sceller le sort de Fantômas. On lui sectionne les tendons pour éviter qu’il s’enfuie de nouveau ! Il est sauvagement battu avant d’être transporté dans la foulée vers Oyem, la capitale provinciale. Là, on lui fera prendre l’avion pour Libreville. Avant cela, à Oyem, Fantômas est déshabillé intégralement. Maintenu debout tout nu à l’arrière d’un pick-up, on lui fait faire le tour de la ville. Au mégaphone un agent harangue la foule pour leur montrer la silhouette moribonde du fameux Fantômas. Il s’agit de le broyer psychologiquement après l’avoir charcuté physiquement. Mais surtout, on veut démystifier le célèbre voyou aux yeux des populations.

A l’aéroport Léon Mba de Libreville, une foule de journalistes et de badauds est présente au pied de l’avion pour découvrir et photographier le célèbre bandit. Fantômas a les reins brisés. Il est maintenu par des bras vigoureux. Face à la caméra de la télévision nationale, les forces de l’ordre lui demandent de reconnaître les crimes dont il est accusé. Il refuse. Il est battu, mais refuse obstinément de reconnaître quoi que ce soit. Puis, après plusieurs coups furieux, exténué et au plus mal, il crache du bout des lèvres ce qu’on lui demande d’avouer. Il est conduit dans les geôles du Camp Roux où, 24h durant, il sera torturé de façon inhumaine, déplacé uniquement en fauteuil roulant de la salle de torture à sa cellule. Le 2 décembre 1992 au matin, soit 72h après son interpellation, Fantômas est déclaré mort à l’infirmerie du camp de gendarmerie Gros Bouquet. Il avait 26 ans.
Le 3 décembre 1992, la Une de « l’Union » titrait : « Fantômas est mort ».
Plusieurs semaines plus tard, à l’aéroport de Bitam, une foule immense viendra accueillir sa dépouille et lui rendre ainsi un ultime hommage, ce jusqu’à sa dernière demeure…

FANTÔMAS, TROMPE LA MORT !

Au milieu des années quatre-vingt à Libreville au Gabon, une pratique à risque était en vogue chez les jeunes : cascader sur des bus scolaires ! Certains lycéens et collégiens prenaient d’assaut les bus de façon dangereusement acrobatique le long des trajets. Le point culminant était l’arrivée à la gare routière de Libreville, terminus vers lequel convergeaient, aux environs de 13h, les bus en provenance des différents établissements. Le samedi était quasiment le jour de messe de cette pratique, lycéens et collégiens se donnant rendez-vous à la gare pour assister à l’arrivée des cascadeurs sur les bus ! Ceux-ci étaient transformés en terrains de joutes souvent mortelles. Car en dehors des cascadeurs occasionnels, nombreux jeunes étaient constitués en bandes. Chaque établissement avait pour ainsi dire son ou ses groupes de cascadeurs. Ces derniers se formaient en fonction des affinités, mais surtout des aptitudes aux cascades. Celles-ci étaient codées. Il existait ainsi un corpus de figures imposées : l’on pouvait partir de l’intérieur du bus (en marche), sortir par l’une des fenêtres, monter sur le toit du bus puis regagner de nouveau l’intérieur du bus par la fenêtre opposée. L’autre variante consistait à partir du toit du bus pour l’intérieur ; l’on pouvait également débuter sa prestation accroché à l’arrière du bus, gagner le toit et terminer à l’avant du bus ! Une autre figure consistait à se suspendre pendant une partie du trajet à la fenêtre du bus, au niveau des genoux, tête en bas etc. Beaucoup de gamins dégringolaient du bus et terminaient sous les roues des véhicules qui suivaient. Les morts et les estropiés se comptaient par centaine chaque année, ce qui alerta les pouvoirs publics. Les forces de l’ordre traquaient donc les cascadeurs comme la peste.
Les cascadeurs prenaient très souvent des noms de code. Parmi toutes les grandes figures de ces joutes thanatiques, un nom se dégageait comme étant LE cascadeur ultime. A l’état civil il répondait au nom d’Hervé Obiang Beyeme. Mais en tant que cascadeur il se faisait appeler FANTÔMAS ! Comme le célèbre personnage cinématographique incarné par Jean Marais. Un bandit qui échappe toujours à la police incarnée par Louis de Funès. Beaucoup se souviennent encore de certaines arrivées théâtrales de Fantômas à la gare routière de Libreville, sous le cagnard de 13h, jugé debout à l’avant d’un bus roulant à 60km/h, les bras croisés à hauteur de poitrine, un bandana noué autour du visage pour ne pas être reconnu par les forces de l’ordre, et la foule de lycéens scandant son nom : FANTÔMAS ! FANTÔMAS ! FANTÔMAS !

Fantômas a pourtant vu mourir sous ses yeux plusieurs de ses camarades. Son meilleur ami a rendu l’âme dans ses bras après une chute mortelle. Quand on lui demandait si ça ne l’effrayait pas, il répondait, sourire aux lèvres, qu’au contraire ça le stimulait. Quand il se retrouvait là-haut, sur le toit du bus, c’était pour ses défunts amis qu’il cascadait. Pour tourner en bourrique la Mort, elle qui lui avait arraché ses plus téméraires acolytes.
Les rivalités entre anciennes bandes de cascadeurs se poursuivent parfois sur d’autres terrains, pour se terminer en bagarres rangées. En plus d’un excellent cascadeur, Fantômas se révèle solide bagarreur. Il est célèbre pour son coup de tête servi par un front proéminent. Pour une partie de ces jeunes, Fantômas était un héros, car il bravait l’autorité en se jouant des membres de la PJ qui le coursaient régulièrement dans la gare routière. Mais surtout, parce qu’il parvenait à tromper la Mort qu’il défiait chaque fois qu’il grimpait sur un bus. Et puis, ça n’était pas un mauvais bougre. A la gare routière, mais aussi dans son fief des Akébés, il prenait toujours partie pour les plus faibles. Sa générosité était tout autant avérée. « Il avait bon fond » diront certains. Si bien qu’il trônait régulièrement au milieu d’une bande de jeunes désœuvrés toujours prêts à le suivre. De cette époque, il va acquérir un capital sympathie auprès de plusieurs générations de Gabonais.

Plus tard, il quittera très tôt les bancs du Lycée Technique de Libreville. De fil en aiguille il va malheureusement verser dans une petite délinquance : vol à l’étalage, braquage, bagarres en bande organisée etc. Au courant de l’année 1990, avec l’avènement du multipartisme, la « carrière » de Fantômas va prendre une autre tournure. Il est approché par le parti au Pouvoir. En perte de vitesse celui-ci veut retrouver un second souffle lors de meetings et de marches populaires. Fantômas à cette époque peut rassembler sous sa coupe plusieurs centaines de jeunes. Il est alors sollicité pour drainer du monde lors de ces différentes manifestations. Progressivement, il gagne des gallons et finira par s’occuper aussi de la sécurité. C’est un leader naturel et charismatique qui ne manque pas d’aplomb. Paradoxalement, en même temps qu’il s’élève dans la nomenclature de la voyoucratie de Libreville, il connaît aussi une ascension dans les sphères du Pouvoir. Les missions changent de nature aussi. Il est payé pour aller déstabiliser les meetings des partis de l’opposition, mais aussi pour créer des troubles dans la ville. C’est l’époque de la guerre des gangs, dits « Cool Mondjers ». Autant de faits qui justifient une politique répressive de la part de l’Etat. On le sollicite également pour des intimidations très musclées auprès de particuliers de la sphère politique ou autre. Fantômas devient une « Star » dans l’élite politique. Le Bad Boy avec lequel on se plaît à s’afficher. Il est même reçu par le feu président Omar Bongo Ondimba, qui leur remet à lui, et à d’autres Caïds des quartiers, de fortes sommes pour développer des commerces dans leurs quartiers respectifs, dans un plan dit de réinsertion sociale…
Puis, de fil en aiguille les relations avec le Pouvoir vont devenir moins idylliques. Plusieurs fois il ne sera pas payé après une mission. Il commence alors à refuser un certain type de missions… puis il décide tout simplement de s’affranchir de ses anciens commanditaires, et créer ses propres réseaux financiers. Mais l’on ne quitte pas impunément pareille « mafia »… la suite, vous la connaissez.

FANTÔMAS : UNE LEGENDE URBAINE

Au moment de sa mort, et bien longtemps après, Fantômas a incarné une figure assez paradoxale. Ils sont peu à faire le lien avec le cascadeur phénoménal qu’il était. On se souvient volontiers du bagarreur téméraire et du chef de gang qu’il a été. Pour certains, c’était plutôt un braqueur doublé d’un criminel aux ordres d’un Pouvoir amoral ; pour d’autres encore c’était un grand voyou avec du tempérament mais au demeurant plutôt sympathique, qui s’est fait manipuler par une nébuleuse face à laquelle il a manqué de discernement. D’autres aussi en parlent comme d’un type qui avait des gris-gris qui lui permettaient de se volatiliser quand il était coursé par les éléments de la police judiciaire. Parfois encore on l’évoque comme un croque-mitaine, le vilain bonhomme à qui l’on fera appel si un enfant ne se montre pas sage. Bref, Fantômas est devenu ce que l’on appelle une Légende Urbaine. Un personnage ayant existé sur qui viennent se greffer comme ça des récits fantastiques souvent extrapolés.
Un téléfilm a été réalisé au Gabon sur Fantômas, dans lequel il est dépeint comme un trafiquant de femmes. Il est cité dans de nombreux ouvrages Gabonais, dont celui de Janis Otsiemi « La bouche qui mange ne parle pas », où l’auteur évoque vite fait l’époque où Fantômas transformait son quartier en zone de non droit. Sur le plan musical, Gervais « Klaus » Mpouho, du groupe de rap Gabonais V2A4, lui a dédié un titre, « Thomas le Fang » dans lequel il évoque ses collusions avec le Pouvoir en place.

Qui était donc Fantômas en fin de compte ?
Un petit voyou ?
Un homme de main du Pouvoir doublé d’un dangereux criminel ?
Un gars en réalité sympathique qui a été grisé et dépassé par sa collaboration avec d’obscures politiciens Gabonais ?
Sans doute était-il plus ou moins un peu de tout cela à la fois, je n’en sais rien en vérité. Mais pour moi, Fantômas était avant tout un de mes grands frères ! Nous sommes issus du même village à Bitam dans le nord du Gabon, appartenons au même clan, et à la même famille. Sa mort dans des conditions aussi tragiques avait provoqué un électrochoc en moi qui a conduit à la rédaction de ce premier roman en 1996 !

LES CHIENS DU ROI : L’INFLUENCE DE FANTÔMAS

Fantômas m’a inspiré le personnage de Tobi, le King des Mapanes, anti-héros qui traverse ce polar sombre en naviguant entre les bas-fonds et les milieux véreux de la Politique.
Néanmoins, même si je lui prête ses traits, Tobi n’est pas Fantômas, et son histoire est encore moins celle de Fantômas. J’ai considérablement puisé dans de nombreuses anecdotes, me suis également inspiré d’autres personnalités publiques de la vie politique Gabonaise des années 90, mais que j’ai pris soin de travestir et de transformer afin de rester dans le champ de la fiction, et ainsi m’octroyer des libertés quant au récit.
Pourquoi Fantômas en particulier ?
Outre le fait qu’il ait été un de mes parents, sa mise à mort fut précédée d’une campagne médiatique sans précédent dans l’histoire journalistique gabonaise. Celle-ci a sans aucun doute contribué à renforcer sa « légende » dans l’imaginaire collectif local aujourd’hui. Par ailleurs, les voyous, on le sait, fascinent toujours. Ils sont légions à avoir marqué de leurs empreintes la littérature et le cinéma aujourd’hui. Parce qu’ils n’éprouvent point de scrupules à transgresser les normes et bornes sociales, ou à malmener les notions de Bien et de Mal, ils suscitent généralement des couples de sentiments aussi contradictoires et dichotomiques que l’attraction et la répulsion, l’admiration et le mépris, l’amour et la haine ! Paradoxalement, quoiqu’étant mon frère, je ne connaissais pas vraiment Fantômas. Je connaissais par contre Tâ Obiang, comme nous l’appelions affectueusement dans le cadre familial. J’ai côtoyé ce grand frère, pas le criminel qu’ont dépeint les médias. A tel point qu’il m’est plusieurs fois arrivé de me demander si ce que l’on racontait sur lui était vrai. Le Fantômas que je connaissais était quelqu’un d’adorable, de sensible, de très gentil et auprès de qui on ne s’ennuyait jamais, car il pratiquait l’humour à un carrât très élevé. De même, pour ses proches il était toujours disponible 24h/24, et ce au sens littéral.
Lorsque l’on est un jeune homme à l’imagination débordante, côtoyer quelqu’un de cette nature et de cette stature ne pouvait qu’être une aubaine. Toutefois, je n’aurais pas pu écrire une histoire sur Fantômas peu de temps après son assassinat. Trop de proximité avec le défunt. Voilà pourquoi il fut plus aisé et pratique de créer ce personnage fictif qu’est Tobi le King, et de le faire évoluer dans un pays tout aussi fictif, incarné uniquement par un seul lieu : la Capitale.

« Les Chiens du Roi. Tome 1. Le King des Mapanes » est ainsi un roman inspiré de faits réels, à travers lequel je voulais certes dénoncer une société et un Pouvoir complètement inique, mais aussi brocarder la période des années quatre-vingt-dix, aux lendemains des fameuses Conférences Nationales qui se sont tenues dans la majorité des pays francophones d’Afrique noire. Conférences qui étaient porteuses d’énormément d’espoirs auprès des Africains, mais qui vont s’avérer de cruelles déceptions pour ces populations qui aspiraient légitimement à un mieux-être.
On comprendra que Les Chiens du Roi soit une histoire sombre, sale, et particulièrement violente. Mon but en l’écrivant n’était pas de rechercher des effets stylistiques. Non. Je voulais uniquement saisir le lecteur par les tripes, et attirer son attention sur une société complètement en déliquescence, dans laquelle la jeunesse sert uniquement de munitions à des opérations sordides et parfois déshumanisantes ! Je voulais écrire un roman coup de poing qui s’inscrirait dans une trilogie qui va revisiter les années quatre-vingt-dix, deux mille et deux mille dix dans un pays lambda d’Afrique noire…

#WazeToi

Apis Ondo

#FJ

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